Rien, mais les arbres 2009

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Rien mais les arbres, et entre chaque, le jour qui baisse.
La nuit, les arbres se penchent.
Dans une cuvette, des tas de bois et des arbres déchiquetés. Le silence est lourd
et l’odeur de sève forte. Jean, ça lui met le cœur à vif. Elle, son tailleur bleu turquoise
sur l’herbe verte, assise à la lumière dorée du soleil, une main sur sa canne et l’autre
sur ses genoux, la paume ouverte.
Des photographies anciennes de femmes, en noir et blanc, debout dans le village,
riantes ou sereines. Campées sur leurs jambes, une coquetterie, mais sans fard.

Hier, par la fenêtre, un homme d’un certain âge, en tenue de camouflage, tenant
en laisse son chien qui boite (claudiquant).
La fille qui dit à sa mère, c’est toi qui m’as fait mais c’est moi qui t’ai faite grand-mère.
Une autre, parlant de ses enfants, « des filles, non j’ai pas eu de filles. Ben oui,
j’aurais aimé en avoir une. Que des garçons. Pour le premier, c’était une
réjouissance d’avoir un garçon, mais le deuxième… ».
J’aimerais y revenir. Ou non, plus précisément, dans mon indécision, être,
dans mon inconfort, entre ici et là bas.

Il a une gestuelle particulière, une maladresse touchante dans le positionnement
de son corps et de ses membres. Des bras trop grands pour lui. Un sourire flottant
aux lèvres toujours. Une voix douce et ténue.
Deux jours de suite, ciels changeants, et le soir, juste avant la nuit, une lumière dorée,
qui recouvre tout. Julia, dans la lumière, présente, entière, le regard clair.
On sort sous la pluie et quelques minutes après, soudain le ciel s’éclaire.
Le brouillard est encore là. Une lumière blanche qui aveugle.

L’histoire d’une femme, qui s’est jetée par la fenêtre et a survécu en fauteuil roulant.
Elle a fait passer un avis de décès, les gens sont venus à son enterrement, mais elle
n’était pas morte. « Ça, vous pouvez en parler » dit il.
Deux hommes sur le pas de leur porte nous observent avec insistance. Puis, vers la poste,
une femme en blouse et gants mappa verts secoue son chiffon pendant plusieurs minutes.
Le fils décédé. Ce jour là il ne travaillait pas, il a été appelé quand même pour dépanner.
On ne sait pas ce qui s’est passé, on ne peut pas savoir. Un camion de lait, la citerne
s’est décrochée et l’a écrasé. Il avait trois enfants, la petite a 18 ans maintenant.
Aujourd’hui, en revenant en voiture, vu un homme qui urine face à la route, sans gêne ;
derrière lui, des silos à grain. Juste aperçu.

L’œil n’est plus, à la place, une cavité rouge, et une autre dans son cou. Le cygne est étalé,
dans sa longueur, toujours gracile, même dans la mort. Sous le pont, l’eau continue de couler.
Un peu plus loin, un blaireau mort lui aussi, les pattes repliées sous le corps, le museau
contre terre. Pas de sang non plus, les limaces viennent lui manger les yeux.
A la nuit tombée, toujours autour de la table, les braises du barbecue qui nous éclairent,
les chiens et les chats à nos pieds, lui, ivre d’avoir trop bu, lui dit qu’il l’aime.
Le silence s’installe.
Cette torpeur, ce bien être cotonneux, peut être que ça devient dur au fil des jours.
Peut-être que c’est noir sous la douceur.
Un pont, qui s’enfouit dans les bois, et sur la passerelle, tous les trois mètres,
des croix gammées à la craie blanche.
Au village, cérémonie en souvenir des résistants devant le monument aux morts.
Un camion bâché vert, sur fond de paysage.
Elle m’emmène sur sa colline. On passe par-dessus les barbelés, et on arrive dans
un champ sauvage, un petit étang se cache derrière un bosquet d’arbres et des
broussailles, le champ est vert, on voit l’horizon. Le soleil auréole ses cheveux roux,
elle pose, sa veste à la main, allume une cigarette. Elle me dit comme la peinture l’a sauvée.
J’aime la façon qu’elle a de porter son corps, de s’habiter. Son assurance et sa simplicité.
Je pense à ma mère.

Hier, la fête au village. Beaucoup de monde. Une violence éprouvée, une fatigue,
auprès d’hommes qui rient trop fort.
Les suicides sont fréquents ici. Les enfants ne restent pas.
Images de nuit, clandestines.

Jean nous parle de la journée rallye automobile où il a emmené son fils. Ça lui fait
des souvenirs dit-il. Il faut se fabriquer des souvenirs, il faut s’en fabriquer tous les jours.
Je suis triste de partir, la pluie tombe, les arbres fument.
Je salue la voisine de la main, elle prend peur et me tourne le dos.
Partout dans les jardins, les gens raclent, bêchent et binent.
Dans le box des chevaux, deux poulains, nés gris mais destinés à la blancheur.
Je reste un long moment près d’eux, apaisée.
Elle a de très beaux yeux, un peu de marron dans son œil droit, dans ses yeux verts.
Des noms, les Sœur, les Maitre et les Mourant.
En haut, le point de vue. La pensée fugitive, comme à chaque fois, qu’un pas de plus
et c’est le vide.

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